Retour à la pratique

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Le koshiki no kata

La victoire du judo

J’aimerais encore une fois préciser ce qu’est pour moi la Cérémonie des vœux du junomichi.

Tout d’abord il me semble important de rappeler que cet événement n’a pas lieu au début de saison, comme c’est le cas par exemple du Séminaire, mais bien au milieu de celle-ci. Nous nous réunissons donc pour célébrer le junomichi, en plein cœur de notre année de pratique, au cours du mouvement même de notre recherche. Qu’est-ce à dire, alors ?

Qu’à l’occasion d’une nouvelle année qui coupe en deux notre saison, nous prenons le temps lors de la Cérémonie des vœux, de rendre perceptible le chemin que nous parcourons, la voie que nous sommes entrain de tracer. Pour bien rendre sensible cette voie, il est important de comprendre comment le temps est pensé depuis la pratique du junomichi, s’il est bien vrai que chaque discipline authentique invente un temps qui lui soit propre.

À mon sens, le temps du junomichi est un temps long qui en son sein détient une persistance. Mais qu’est ce qui persiste au cœur d’une telle durée ? Je dirais qu’il s’agit d’une victoire qui tout au long de notre parcours individuel et collectif, est préservée à chaque instant. Pour tenter de qualifier cette victoire, je dirais qu’elle consiste à mes yeux en la capacité qu’a eu le judo d’avoir su inverser, à un moment particulier de l’histoire, un certain ordre des choses. Cette victoire est finalement la fondation du judo par le jeune Jigoro Kano, qui a su faire entendre au cœur de l’antagonisme que développaient les pratiques de guerre, une autre orientation, celle qui préconise une éducation collective, soutenue par la maxime : entraide et la prospérité mutuelle. Cette inversion singulière, cette affirmation, a eu comme particularité d’avoir été réalisée au plus près de l’adversité, c’est-à-dire à partir des techniques guerrières venues de l’époque féodale. Cet événement qui fonde le judo et dont le junomichi hérite, se matérialise par le passage bien connu des techniques de guerre (jutsu), à une pratique conçue comme voie (do ou michi), où oppositions et rivalités sont remplacées par les notions d’éducation. Mais nous le savons cette inversion décisive garde au sein de la pratique, la trace de cet ancêtre dont la norme était le combat décisif.

Il est important que nous prenions mesure et conscience collectivement de cette victoire, et de la tension qu’elle détient, pour appréhender le temps singulier qu’elle inaugure. Cette conscience permet de conserver la puissance de cette victoire et de la faire progresser à chaque instant dans notre pratique. Être fidèles à elle, c’est avoir la capacité de reprendre indéfiniment ce geste qui tranche au sein de l’antagonisme, pour faire advenir cette source rafraîchissante de la nouveauté affirmative.

Le koshiki no kata et le judo

Cette année la Cérémonie des vœux a pour axe de travail le koshiki no kata. Nous le savons le koshiki no kata a été appris par Kano au sein de la dernière école de jujutsu dans laquelle il a pratiqué, l’école Kitô ryû. Il a souhaité que ce kata soit intégré à l’ensemble des katas de la nouvelle pratique qu’il crée en 1882 : le judo, et il semble qu’il ait voulu que ce kata perdure dans sa forme primitive. Il est probable que le koshiki no kata condense l’enseignement de l’école Kitô ryû, à qui Kano devait tant pour la création du judo.

Le geste qui consiste à intégrer un kata ancien au sein d’un pratique moderne n’est pas anodin et doit nous interroger sur les raisons pour lesquelles il est important pour notre pratique de conserver ce qui appartient à une période qui précède la victoire et que j’ai tenté de qualifier précédemment.

En regardant les quelques images disponibles au temps où Kano pratiquait le koshiki no kata, mais aussi celles qui montrent comment un peu plus tard, les jujutsuka ont continué après la fondation du judo à le pratiquer, on constate que le koshiki no kata est exécuté dans une forme plus proche d’un combat martial. En témoigne particulièrement le fait que les techniques sont exécutées, avec à chaque fois une intention de projection, du début du kata jusqu’à la fin et que de ce fait les ukemi s’avèrent être plus courts et plus secs. De même que la progression des deux partenaires durant tout le déroulement du kata ne se faisait pas en utilisant la forme de cercles comme nous le pratiquons aujourd’hui, mais se caractérise plutôt par des avancées directes des deux partenaires se dirigeant l’un vers l’autre, pour accomplir l’action au plus vite. D’une manière générale donc, le koshiki no kata des premiers temps du judo est plus proche de la dimension martiale, alors que par la suite il y a eu une évolution, dont nous sommes les continuateurs, qui tend à faire valoir dans le koshiki no kata une autre idée.

La façon que l’on a d’accompagner uke dans sa chute à la suite de chacune de ses attaques, mais aussi de faire que chacune des rencontres entre tori et uke s’inscrive à l’intérieur d’un cercle, indique que ce qui est mis en avant n’est pas tant une succession de techniques servant à conclure un combat, mais qu’il s’agit plutôt de l’exploration d’une durée, dans laquelle tori et uke sont appelés à se transformer et où les notions d’entraide et d’éducation apparaissent. Cette façon d’envisager le koshiki no kata a été polie et s’est révélée à travers les décennies, depuis qu’il a été enseigné par Michigami à Igor Correa, puis par la recherche qu’il a par la suite lui-même mené sur ce kata, pour enfin le transmettre aux membres de la commission technique, qui aujourd’hui travaillent à le partager et le transmettre aux pratiquants du junomichi.

Malgré cette évolution il est évident que l’apport spécifique du koshiki no kata réside dans le fait qu’il symbolise plus qu’aucun autre kata, le combat décisif. Persévérer dans la pratique de ce kata, met en jeu à la fois la dimension martiale du combat et en même temps la potentialité d’un changement radical de perspective. Nous découvrons comment cette sincérité du combat, peut être interprétée dans l’idée d’un renversement, capable de le rendre affirmatif, universel, et appréhendable par tous.

Un rite originel du judo

Le koshiki no kata a été traduit dans notre livre Junomichi no kotoba par : façon d’exécuter les rites originels.

Mais alors, quels sont les rites qu’il s’agit de pratiquer aujourd’hui quand nous faisons le koshiki no kata ?

Je dirais tout d’abord que ce kata pratiqué par les guerriers japonais, devait probablement déjà comporter l’idée qu’exécuter un kata, était une manière de ritualiser le combat, de telle façon à ce qu’il y ait une transformation de soi et du partenaire capable de les mener vers un au-delà de la simple survie. Le kata pourrait être entendu dans ce contexte ancien, comme une forme de parenthèse inscrite entre deux combats réels, et finalement comme un mode d’éducation d’une tout autre nature que la simple préparation d’un combat à mort. Un rite en somme qui permet d’atteindre une autre dimension de l’existence humaine. Si cela est vrai, il est possible alors que ce que détient le koshiki no kata ne soit pas seulement la confrontation martiale entre deux guerriers s’entrainant à tuer l’autre ou à mourir, mais que, dès les origines, ait été présente l’idée d’un dépassement de l’antagonisme, que le judo de Jigoro Kano a su révéler, comme l’on soulève un voile qui dissimule un trésor.

Le temps du junomichi et le koshiki no kata

Le koshiki no kata est certainement le kata qui nous permet le mieux de sentir la persistance du passé et du futur dans le présent, ainsi que l’enjeu que représente la victoire de la fondation du judo.

C’est par l’attitude, le shizentai conservé tout au long du kata, par la mise en avant du corps et de l’esprit au bord du vide, que nous pouvons apprendre ce que veut dire, se tenir entre deux déterminations du temps, et comment est-il possible de faire persister cette attitude dans la durée.

Nous pourrions dire qu’à la fin du premier pas, devant tori, se présente un futur inconnu, matérialisé par l’espace vide, et que derrière lui, comme un retour perpétuel, uke vient lui rappeler qu’il est lié à son passé.

Mais comment dans le kata ces deux orientations contradictoires se résolvent-elles pour produire un présent en perpétuelle transformation ? C’est par une persistance à deux de cette tension, exprimée par la façon qu’ont tori et uke de parcourir un chemin partagé, chargé d’exigence et de sincérité et maintenu du début à la fin de l’exécution du kata. Ce que nous présentent tori et uke dans le koshiki no kata c’est la matérialisation d’une voie parcourue en commun au bord du vide, entre futur et passé, chemin qui ne prend pas une forme linéaire, mais bien celle de cercles infinis.

Le koshiki no kata au cœur de notre Cérémonie des vœux

Si le koshiki no kata est bien un guide pour cette Cérémonie des vœux, nous devons faire sentir comment dans notre pratique actuelle persiste ce que j’ai tenté ici d’appeler une victoire, et comment l’entraide et l’émancipation collective prédominent sur la dimension antagonique et la survie individualisée.

Il nous faut rendre perceptible par les différents exercices que nous faisons, que c’est bien cette idée qui oriente toute notre recherche. La koshiki no kata au cœur de cette Cérémonie des vœux nous rappelle d’où nous venons, mais aussi et surtout comment nous sommes appelés à transformer la donne, c’est-à-dire à nous engager à faire advenir au cœur de la sincérité d’un combat une générosité, et comment pour exister, celle-ci doit être réaffirmée à chaque instant, et dans chacun des éléments de notre pratique.

La Cérémonie des vœux 2023 est donc placée sous le signe de ce présent qui nous permet d’appréhender le passé et le futur à la lumière de cette victoire, et par là participe à mieux comprendre comment passer d’une logique guerrière, à une générosité partagée. En somme comprendre comment la fidélité à cette idée est ce qui fait toute l’efficacité et la puissance de notre pratique.

Alors si pendant cette cérémonie nous devons nous faire mutuellement des vœux, c’est certainement d’abord cela que nous pouvons nous souhaiter : soyons individuellement et collectivement capable de nous tenir à hauteur de cette victoire et de façon dynamique !

Rudolf di Stefano, janvier 2023


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