Les katas
"Les katas ne sont pas quelque chose d'exceptionnel. Ce sont des exercices au même titre que les autres [...] parce qu'il ne faut pas perdre de vue que tous les exercices sont faits pour améliorer la pratique du judo" Igor Corréa, L'origine du judo.
Littéralement, kata signifie "forme". Dans le contexte du junomichi, kata est défini par "façon de", les façons de réaliser des techniques de projection (nage no kata) ou les façons de réaliser des techniques de contrôle au sol (katame no kata), ...
Chaque kata propose des formes prédéfinies sur un thème de pratique. Le travail de ces thèmes contribue à la compréhension des mouvements et à l'éducation du corps pour aller vers une action juste et sincère.
On ne peut pas approcher l'étude d'une technique, d'un mouvement en le disséquant. Autrement, il deviendrait une faible succession de gestes. Pour que le mouvement et l'ensemble du kata prennent corps, ils doivent être entier comme réalisés avec une unité de corps, de temps, une unité dans la sensation des cinq principes du junomichi qui doivent s'exprimer dans le même instant, celui de la projection, du kata. Puisqu'il y a cette nécessaire unité de sensations riches et complexes, le travail des katas permet d'explorer et de comprendre des aspects de la pratique qui ne sont pas uniquement en rapport avec le thème du kata mais qui simplement y participent.
C'est peut-être ce qui donne cette sensation que le travail des katas est une source inépuisable de recherche.
Pour reprendre les mots d'un pratiquant, les katas sont "la grammaire du junomichi". Une langue vivante qui évolue dans le temps grâce à cette recherche de sincérité et d'efficacité.
Les descriptions des principaux katas présentées dans cette section sont extraites de l'ouvrage "Junomichi No Kotoba".
Randori no kata
Le randori no kata est constitué de la réunion de deux kata : le nage no kata et le katame no kata – le premier indiquant la façon d’exécuter les techniques de projection, et le second la façon de pratiquer les techniques de contrôle au sol. Il déploie les techniques et les formes élémentaires du junomichi, et conduit ainsi les pratiquants à exercer avec efficacité le randori.
Ayant créé le nage no kata et le katame no kata, Jigoro Kano a encore désiré, en créant le randori no kata, exposer le lien fondamental entre le travail debout et celui au sol.
Nage no kata
Le nage no kata fait travailler l’essentiel des différentes projections et des chutes utilisées en junomichi. Il est constitué de cinq séries, dont chacune présente trois techniques : trois séries de tachi waza (te waza, koshi waza et ashi waza) et deux séries de sutemi waza (ma sutemi waza et yoko sutemi waza).
Toutes les techniques du nage no kata commencent debout et se terminent sur une projection, à l’issue d’un déplacement en trois pas – Tori projetant, tandis qu’Uke exécute un ukemi. Chaque fois, Uke lance une attaque dans l’intention de projeter Tori. Répondant à cette attaque, Tori esquive (tai sabaki), exerce un contrôle (katame), et achève l’action par une projection (nage) puissante. L’ensemble de ces actions constitue une unité : le kake.
Katame no kata
Le katame no kata est le lieu de travail des trois catégories de contrôle au sol rencontrées en junomichi : les techniques pour maintenir (osae waza), les techniques de pression sur les flux sanguins (shime waza) et les techniques sur les articulations (kansetsu waza). Chacun de ces types de contrôle fait l’objet d’une série de cinq techniques, exécutées par Tori. Uke effectue de son côté, au cours des trois séries, katame ura no waza pour tenter d’échapper à la maîtrise de Tori.
Le katame no kata permet de comprendre que le contrôle n’est pas affaire de moment ou de technique ponctuels, c’est en permanence (durant les déplacements, les redressements, l’approche du partenaire, etc.) que Tori et Uke y exercent leur contrôle.
Gonosen no kata
Le gonosen no kata présente deux séries de six techniques de projection exécutées par Tori sur des séries d’attaques lancées par Uke. Inscrivant son action à l’intérieur de la technique de Uke, Tori prend le contrôle et projette dans la direction même de l’attaque de son partenaire. Pour Tori, parvenir à être à l’intérieur de l’attaque de Uke, c’est aussi susciter chez lui une technique précise : malgré les apparences, ce n’est pas Uke qui décide d’attaquer en o soto gari ou en de hashi barai, c’est Tori qui l’y incite. Tori prend en effet la maîtrise de la pratique dès qu’il avance son corps, avant même le kumi kata.
Le gonosen no kata a été créé par Kyuzo Mifune. Son enchaînement a été formalisé par Mikinosuke Kawaishi. Igor Correa a contribué à le rendre plus sobre et direct en lui donnant la forme sen no sen. On peut réaliser ce kata sous la simple forme gonosen, ou sous celle du sennosen (attaque avant).
Kime no kata
Le kime no kata comporte deux séries. La première série, idori, signifie « être là, prêt à prendre ». La deuxième série, tachi ai, signifie « être présent ». Ces deux termes sont les seules indications données pour décrire le travail de Tori, les noms des techniques utilisées à l’intérieur de ces deux séries décrivant ensuite les attaques de Uke (qui est, fait exceptionnel, armé d’un poignard et d’un sabre).
Tori esquive avec son corps les attaques successives de Uke, sans jamais chercher à les dévier de leur trajectoire initiale. Par l’exécution de cette esquive, il se place lui-même en situation de réaliser une technique. Il contrôle alors Uke par un nage waza, par un atemi waza, par un shime waza, par un kansetsu waza ou par une combinaison de ces techniques. Quels que soient la direction, le temps ou la technique d’attaque de Uke, Tori est toujours prêt «avant». Dans les termes mêmes du kata, Tori prend la décision d’«être là», d’être présent ici et maintenant. C’est en cela que le kime no kata est le kata de la décision.
Pour effectuer le kime no kata, Tori se place à droite du joseki. La série idori s’effectue à genoux, et comporte des attaques à mains nues et au poignard. tachi ai se réalise debout, et présente des attaques à mains nues, au poignard et au sabre. Ces techniques proviennent du jujutsu : par ce kata, Jigoro Kano a transmis au judo le principe de décision tel que pratiqué et forgé jadis par les samouraïs.
Ju no kata
Le ju no kata, créé par Jigoro Kano, comporte trois séries de cinq mouvements, qui se donnent comme des «enseignements». Et en effet, ce kata, exigeant une attention au partenaire plus importante qu’à l’accoutumée, possède une dimension éducative particulière.
Le ju no kata indique, par sa lenteur, sa continuité, son absence d’ukemi, la façon pour un junomichika d’être doux dans des échanges cependant fondés sur des attaques sincères et efficaces. C’est avec cette douceur que les mains fermes de Tori et de Uke assurent un lien constant entre leurs deux hara au cours des actions.
La continuité des actions et des contrôles fait l’objet de toute l’attention des partenaires. Uke conserve son contrôle en grandissant son corps. Il trouve là le moyen de repousser toujours plus loin et plus tard le moment de la chute. Tori n’en poursuit pas moins son attaque, la conduisant jusqu’à l’extrême limite de l’ukemi.
Koshiki no kata
Le koshiki no kata est hérité de l’école de jujutsu Kito ryu. Il est constitué de différentes techniques utilisées par les samouraïs au cours de l’époque médiévale et jusqu’à l’ère moderne Meiji, au milieu du XIXe siècle. Ce kata offre l’image d’un combat entre deux samouraïs au bord d’une falaise. Les deux combattants portent une armure qui les contraint à un déplacement lent et maîtrisé. À chaque attaque, l’assaillant tente de jeter l’autre dans le précipice. Le samouraï attaqué esquive et contrôle l’attaque, et amène son assaillant jusqu’au bord de la falaise, où il lui laisse la possibilité d’échapper à la chute fatale. Attaque après attaque, le danger s’accentue, jusqu’à la dernière technique, à l’issue de laquelle l’attaquant est projeté du haut de la falaise.
Le koshiki no kata est constitué de deux séries de mouvements. La première, omote, en compte quatorze, la seconde, ura, seulement sept. Au cours de la série omote, Tori se tient prêt à recevoir l’attaque de Uke et lui laisse la développer avant de la prendre. Dès que Tori a esquivé l’attaque, il permet encore à Uke de conserver une forme d’initiative, une mobilité qui se résoud en un déplacement prolongé par un ukemi.
Dans la série ura, tout s’inverse. L’amplitude des déplacements se resserre, les mouvements se raccourcissent, Tori accentue son avance sur Uke et provoque les attaques de celui-ci de manière appuyée. L’ensemble du koshiki no kata peut être compris comme un enseignement prodigué par Tori à Uke. Un enseignement à deux versants, l’un ample, l’autre court. À l’issue du dernier mouvement de la série ura, Tori projette Uke pour la première et la seule fois. Il achève ainsi son enseignement en exécutant la forme la plus courte et en faisant éprouver à son partenaire l’efficacité maximum d’une projection véritable.
La pratique de ce kata impose de posséder une conscience aiguë de sa mobilité et de celle de son partenaire. Le koshiki no kata est réalisé à un rythme lent et contrôlé. Les partenaires y évoluent comme au long d’une « ligne de crête », sans jamais basculer d’un côté ou de l’autre. L’exigence de la ligne de crête, c’est de maintenir un possible sans que l’action ne déborde d’un côté ni de l’autre.
Nanatsu no kata
Le nanatsu no kata, créé par Tokio Hirano, comporte deux séries. La première série s’appelle omote, la deuxième ura. Toutes deux comportent sept mouvements. Hirano s’est inspiré, pour développer ce kata, de la puissance de la mer et des différentes formes que celle-ci prend lorqu’elle s’écoule ou rencontre un obstacle.
Au cours de la série omote, Tori fait précéder chaque projection par l’exécution d’un mouvement de vague dirigé vers Uke. Outre que cette vague donne des indications sur la projection qui suit, Tori, en projetant Uke, en exprime toute l’efficacité.
La série ura renverse l’ordre des initiatives : c’est désormais Uke qui initie les attaques, dont Tori prend aussitôt le contrôle et prolonge par une projection.
Le nanatsu no kata est ainsi le seul kata où Tori devient l’envers de ce qu’il a été précédemment : ayant d’abord fait corps avec la vague, il se glisse à l’intérieur d’elle, durant la série ura, pour l’utiliser et la renverser. Le nanatsu no kata permet de saisir que si les actions du junomichi sont extrêmement courtes, instantanées dans leur réalisation, elles n’en contiennent pas moins un mouvement de très grande amplitude qui, comme une vague de fond, submerge et déborde les obstacles qu’elle rencontre sur sa route. Le mouvement de la vague reproduit par le corps efface l’obstacle que pourrait représenter Uke au moment de la projection. Tori devient immense, ses actions sont inexorables. Ces sensations d’immensité et d’inexorabilité vont bien au-delà de la simple imitation, elles viennent avant tout de la capacité à visualiser mentalement l’amplitude du mouvement de la vague jusqu’à être animé par cette dernière. Pour exécuter la série omote du nanatsu no kata, Tori se place du côté droit du joseki. Pour effectuer les mouvements en ura, il se place du côté gauche.
Dans la série omote, les techniques mentionnées sont celles effectuées par Tori. Dans la série ura, la première technique mentionnée est celle réalisée par Uke, la deuxième celle réalisée par Tori.
Itsutsu no kata
Le itsutsu no kata est le dernier kata créé par Jigoro Kano. C’est un kata court, épuré et d’une grande simplicité. Les cinq mouvements qui le constituent portent l’essentiel du judo originel de Kano. Par des éléments simples comme la poussée, le hissé, la spirale, le retour et l’effacement, ce kata donne au pratiquant une forme de corps basée sur la non-opposition.
L’un des aspects centraux de l’itsutsu no kata est l’efficacité des projections de Tori obtenue dans une utilisation minimale du kumi kata. Au point que Tori réalise la dernière projection sans prendre contact avec Uke.